dimanche 25 janvier 2015

Kinjiru

Assit sur le rocher, il ne voyait pas bien, au loin, le soleil couchant reflété par le lac. Sur la couverture usagée du livre qu'il tenait dans ses mains, il n'était pas possible de distinguer les lettres qui furent une fois imprimées. Peu après le coucher du soleil, il se dirigea chez lui, l'esprit lourd. Il n'habitait pas loin, d'ailleurs il pouvait voir le lac s'enflammer tous les soirs sur sa véranda. Il avait pourtant décidé ce jour là de se déplacer jusqu'à la bordure du lac. Peut-être avait-il eu l'envie de se dégourdir tantôt le corps comme l'esprit.
Reclus tel qu'il l'était chez lui, il jouissait d'une oisiveté qu'il exécrait. Il finissait donc par enregistrer minutieusement chacune de ses actions.
En ouvrant la porte de sa maison, le silence l'assaillit. L'obscurité régnante ne faisait qu'augmenter cette voluptueuse sensation de solitude.
Le pas lourd et sonore, il s'avança dans le couloir, comme pour s'assurer qu'il était seul. En allumant la lumière, il fixa son regard sur la photographie de sa sœur. Elle avait des traits viriles, comme si un couteau les eût définis. Morte d'un cancer du foie à cause de sa prédilection pour l'eau-de-vie, elle avait à peine vingt-cinq ans lorsqu'il la retrouva à l'hôpital dans un état critique. Il ne ressentit rien lors de la mort de son père, ne comprenant ce qu'était l'amour filial. Cependant lorsqu'il aperçut sa sœur aînée sur le lit de l'hôpital, pâle, sans réussir à ouvrir les yeux, un sentiment d'amer regret l'envahit. Non point parce que sa mère l'avait exhorté à ce qu'il aille voir l'infirme depuis plus de trois mois, mais plutôt parce qu’il aurait préféré la voir morte.
Peu après cet événement, sa mère s'installa chez lui et accrocha la photographie de sa sœur dans le couloir.
Les trois mois pendant lesquels sa mère logea chez lui furent un calvaire. L'odeur qu'elle dégageait envahit la maison. Cinq mois après son départ, l'odeur persistait. Il avait pourtant refusé qu'elle s'installe chez lui, mais elle le somma de se taire puis de la laisser habiter chez lui, pour qu'elle puisse se récupérer de la fatigue du deuil.


S.Twski
                                                Hiroshigue, Les 53 stations du Tokaido